Un nouveau mode de «consommation» de la mode, vers davantage de durabilité, est-il en train de voir le jour? C’est cette interrogation qui a servi de fil rouge à la table ronde organisée mercredi 9 octobre par la Jeune chambre internationale (JCI) en collaboration avec Docler Holding et Luxinnovation.L’industrie de la mode est la deuxième plus polluante au monde après le pétrole. Et une industrie dévoreuse de ressources naturelles comme l’eau (il faut environ 10.000 litres d’eau pour produire un jean et 2.700 litres pour un t-shirt en coton).
Fin 2017, un rapport de la Fondation Ellen McArthur a montré que la consommation de vêtements augmente, alors que leur utilisation est en baisse! La faute à une industrie de la mode dominée par la fast-fashion, qui pousse à acheter puis jeter toujours plus, avec de graves répercussions au niveau environnemental. Chaque année, dans le monde, les consommateurs de mode jettent pour 460 milliards de dollars de vêtements qui pourraient encore être portés.
Un autre chiffre interpelle: selon l’ONG Oxfam, les émissions de CO2 provenant des nouveaux vêtements achetés en Grande-Bretagne chaque mois sont plus élevées que celles d’un avion qui ferait 900 fois le tour du monde.
Prise de concience
Pour autant, les initiatives se multiplient et le secteur de la mode lui-même commence doucement, mais sûrement à se convertir à l’éco responsabilité: le groupe américain PVH Corp. (propriétaire notamment de Calvin Klein) collabore étroitement avec l’ONG WWF pour limiter au maximum ses dépenses en eau; LVMH vise, à l’horizon 2025, que 70% des cotons qu’il utilise soient bio; Gucci a créé sa propre plateforme baptisée Equilibrium pour être totalement transparent en la matière.
«Il y a une réelle prise de conscience: le durable est devenu une tendance pour chaque producteur et pour le consommateur», a expliqué Flavia Carbonetti, directrice de la création pour la marque luxembourgeoise Einfühlung (une marque de vêtements «Conscious Unisex», basée sur l’économie circulaire) et qui fut également Coup de Cœur lors du dernier CYEL Award 2019. «Mais il reste vrai qu’identifier quel produit est durable est un obstacle au quotidien.»
Oui, le consommateur est de plus en plus impliqué dans la réflexion, même si son «évangélisation» prend du temps. C’est ce qu’a pu remarquer Lydia Leu Sarritzu, designer de chaussures vegan de la marque Blanlac: «Il a fallu faire évoluer certains artisans vers l’utilisation des matériaux de type vegan, car il y a une réelle demande du public. L’idée pour Blanlac est de lier le veganisme à l’éco-responsabilité et montrer qu’il y a une alternative aux produits traditionnels.»
Économie circulaire…
Évidemment, cette «éducation» du consommateur ne se fait pas du jour au lendemain. «Il y a toujours cette tendance à aller vers le moins cher», constate Stylianee Parascha, qui se présente comme «styliste de mode consciente et activiste», qui propose des vêtements en coton ou lin bio et en tissus recyclés. Elle est aussi la coordinatrice nationale de Fashion Revolution Luxembourg. «Nous essayons d’éduquer le consommateur et de lui présenter une ‘big picture’ autour des vêtements. Les grandes marques doivent pouvoir répondre à la question ‘Who made my clothes?’, pour expliquer à tout le monde qui a fabriqué ses vêtements.»
Selon l’Agence américaine de protection de l’environnement, depuis 1960, le total des déchets textile a augmenté de 811%. Et aujourd’hui, on estime à 80% la proportion de textiles utilisés dans l’Union européenne qui ne sont pas recyclés. Les univers de la mode et de l’économie circulaire commencent à peine à se rencontrer. «Il est important, au moment de la création d‘un produit, de déjà penser à sa fin de vie et à sa réutilisation pour un autre usage», note Mme Carbonetti. C’est le principe même de l’économie circulaire.
… et recyclage
Reste que le choix des matières utilisées dans la confection de vêtements est toujours un point crucial. Le rapport de la Fondation Ellen McArthur indique ainsi que les vêtements sont responsables d’une pollution 16 fois plus importante en microfibres que les produits cosmétiques et que la branche textile est responsable de plus d’un tiers de la pollution globale en microplastiques.
«Nous l’avons constaté avec les matières plastique et nous le voyons aussi avec les vêtements: les citoyens commencent à prendre conscience que certaines matières posent problème dans leur quotidien. Cela concerne chacun de s’intéresser à la question et de bien connaître les matières qu’il porte», a expliqué Charles-Albert Florentin, le manager du Luxembourg Cleantech Cluster chez Luxinnovation. «Au Luxembourg, en 2017, il y a eu 4.265 kg de textiles récoltés pour être recyclés. Cela représente près de 7kg par habitant, ce qui nous place entre l’Allemagne avec plus de 12 kg et la France avec à peine 3».
Petit à petit, donc, la prise de conscience fait son chemin, au bénéfice du consommateur qui, in fine, rechigne de moins en moins à l’idée de payer un peu plus cher pour un produit qui soit à la fois de qualité et éco-responsable.
Photo: Docler Holding